[Tribune] : « Incohérences et contradictions de la proposition de loi Tshiani », Dede Watchiba

La proposition de loi « Tshiani » continue de défrayer la chronique en RDC. Le drame de notre société est qu’on observe beaucoup d’amalgame dans la manière d’aborder cette question puisqu’en RDC, les émotions prennent souvent le dessus et on a tendance à agir impulsivement sans une dose de rationalité. j’avais déjà longuement analysé cette problématique dans mon avant dernier ouvrage intitulé « Autopsie du dysfonctionnement de l’Etat congolais. Leçons à tirer pour la gestion du pouvoir ».

En suivant attentivement aujourd’hui l’interview de Mr Noel Tshiani avec le journaliste Jean Marie Kassamba portant sur la justification de sa proposition de loi, j’ai pu déceler sur le plan épistémologique quelques contradictions et incohérences dans les propos de Mr Tshiani. Je rappelle ici que l’épistémologie est l’étude de la connaissance scientifique. Sans vouloir verser dans un quelconque jugement de valeur ou sombrer dans une polémique stérile, la base scientifique de l’argumentaire développé par Mr Noël Tshiani reste faible.

En effet, vouloir justifier la proposition de loi « Tshiani» par le fait que “les fonctions de souveraineté occupées par les congolais de père et de mère protègeraient contre les infiltrations étrangères” ne résiste pas à la rigueur scientifique. Ce sont 2 variables totalement indépendantes.

Au cours de cette émission, curieusement Mr Noel Tshiani, comme argument, donne un exemple qui justement et paradoxalement contredit sa thèse. Il avance le fait que, l’officier rwandais James Kabarebe ayant occupé le poste de chef d’état-major de l’armée congolaise, avait favorisé l’infiltration de l’armée congolaise par le Rwanda. Il a raison sur les faits mais il oublie de mentionner que James Kabarebe avait été nommé à cette fonction par Mzee Laurent Désiré Kabila, un président de la république incontestablement de père congolais (mulubakat) et de mère congolaise (karund). Donc, manifestement le fait d’avoir un président de la république de père et de mère congolais, n’avait pas garanti visiblement les « infiltrations étrangères ».  Pourquoi alors justifier une proposition de loi par une recette, une solution qui n’a pas fonctionné par le passé ?

Par contre aux USA, Barak Obama, élevé durant plusieurs années en Indonésie,  fils d'un Kényan noir et d'une Américaine blanche du Kansas d'ascendance anglaise et irlandaise, s’était révélé être un des meilleurs présidents de l’Histoire américaine avec une gouvernance sans “infiltration étrangère”. A l’inverse, durant la guerre froide, Il y a eu des cas d’espionnage des américains de père et de mère contre leur pays en faveur de l’URSS ; et vice versa. (Cfr le livre « Etat espion »).

Sur un autre tableau, Ernesto Che Guevara, cette icône de la révolution cubaine, qui fascine toujours autant aujourd’hui, était un argentin et n’avait jamais favorisé “les infiltrations étrangères” à Cuba. Ce symbole de la lutte cubaine est né en 1928 à Rosario, en Argentine. Ce n’est qu’à l’âge de 28 ans, après avoir voyagé dans toute l’Amérique latine, qu’Ernesto Rafael Guevara de la Serna rejoint Cuba. Il avait auparavant rencontré les frères Castro au Mexique et débarqua sur l’île de Cuba en 1956 à bord du navire Granma pour renverser la dictature de Fulgencio Batista.

Après près de deux ans de guérilla, Castro et celui qui est devenu le commandant Che Guevara parviennent à renverser le régime de Batista. En janvier 1959, un nouveau gouvernement se met en place, et Che Guevara y prend part. Deux ans plus tard, il devient même ministre de l’industrie à Cuba puis prend la tête de la banque nationale cubaine.

En 1965, Che Guevara met le cap sur l’Afrique, et tente de monter une guérilla en RD Congo, puis en Bolivie, toujours sans succès. C’est finalement dans la jungle bolivienne qu’il sera arrêté, puis exécuté le 9 octobre 1967. Il n’était ni de père ni de mère congolais mais il s’était battu pour le Congo.

Comme je l’avais indiqué dans mon livre susmentionné, moi, qui suis de père et de mère congolais, je ne me vois en rien supérieur au vaillant soldat Mamadou Ndala qui était juste de mère congolaise et de père ouest africain. Mamadou Ndala a donné sa vie pour défendre l’intégrité de la RDC.

Le banquier ouest-allemand Erwin Blumenthal, l’homme qui, en 1978, débarque à Kinshasa, comme chef d’équipe du Fonds Monétaire International (FMI) puis directeur intérimaire de la Banque nationale du Zaïre, a laissé plus d’empreinte dans l’histoire de la Banque centrale du Congo que la plupart de gouverneurs de cette institution de nationalité congolaise.

D’un autre côté, au regard de l’Histoire politique du pays, la plupart des présidents que nous avons eus jusqu’ici, jusqu’à preuve du contraire, étaient de père et de mère congolais, mais ils n’ont pas pu empêcher le pays d’être dans la situation de pauvreté et d’insécurité généralisée. C’est avec des congolais de père et de mère comme dirigeants  que la RDC a été flouée dans la plupart des contrats miniers. Le véritable facteur déterminant pour le bien-être de la RDC est la bonne gouvernance et non la congolité.

Il ne faut pas oublier que certains congolais de père et de mère sont à la tête de la rébellion du M23.

En résumé, Il y a besoin urgent d’un encadrement juridique et politique de ce débat sur la congolité qui risque de dégénérer dangereusement en violences comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire sur l’ivoirité. Il ne faut pas oublier que pour une rénovation de la vie politique en RDC,  il faut revisiter les codes de la gouvernance dans le pays et ne pas se réfugier dans un fatalisme déconcertant basé sur des variables fausses. Il n’y a que la bonne gouvernance qui peut remettre la RDC au centre de la géopolitique mondiale et créer le bien-être général dans le pays.

Dede Watchiba, Professeur d’Universités, chercheur et analyste politique