[TRIBUNE] : « Comment libérer le Chef de l’empirisme familiale, clanique ou tribale ? la solution des Bakuba », (Thomas Luhaka Losendjola)

Redaction

18 Mars 2023 - 08:38
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[TRIBUNE] : « Comment libérer le Chef de l’empirisme familiale, clanique ou tribale ? la solution des Bakuba », (Thomas Luhaka Losendjola)

Le point faible du leadership en Afrique noire.

L’Afrique subsaharienne a un problème séculaire qui constitue pour elle un véritable handicap dans la course au développement entre nations.

Pour amortir le poids du malheur potentiel et faciliter la vie en communauté, la civilisation négro-africaine a multiplié les relations de parenté et renforcé les liens de solidarité entre les membres de la famille, du clan et de la tribu. Ces liens de solidarité sont tellement solides qu’ils posent de réels problèmes dans la gouvernance des pays africains à tous les niveaux.

Un poste administratif ou politique devient un patrimoine familial.

Un poste de mandataire public, de gouverneur de province, de ministre ou de président de la république devient un bien familial, clanique, tribal … Les membres de la famille du détenteur du poste se considèrent comme des ayants droit. Par solidarité ou par faiblesse de caractère du responsable, les positions administratives ou politiques dépendantes du poste en question sont envahies par « les frères ou sœurs » tribaux. Le plus souvent sans tenir aucunement compte des compétences (ou absence de compétences) des uns et des autres.

La catastrophe

Et cette complaisance dans la gestion d’un Etat moderne se paye cash : la plupart des pays de l’Afrique noire tournent en rond ou carrément régressent sur le plan économique et social depuis leur accession à l’indépendance il y a une soixantaine d’années.

Les solutions du Royaume Kuba

Parmi les entités politiques précoloniales de la RDC, le royaume Kuba a trouvé deux mécanismes socio-politiques qui ont permis à leurs rois (Nyim) de se libérer de ces liens qui, parfois, deviennent très pesants en matière de gouvernance. Ces mécanismes sont le privilège polyandrique et l’inceste rituel.
Avec nos valeurs morales actuelles, ces solutions peuvent choquer certains. Mais il faut savoir que nos ancêtres ont cherché des solutions adaptées à leur époque et à leur culture. Et qu’il nous revient à nous de trouver des solutions actuelles à ce problème récurrent de leadership.

I. Le privilège polyandrique

Dans le royaume Kuba (17e – 19e siècle) la succession au trône était assurée par le neveu du roi ; plus précisément le fils de la sœur du roi ; que les Bakongo appellent « Muana nkazi ».

La femme qui choisit et épouse son mari.

C’est ainsi que la sœur du Nyim (Roi) était la seule femme du Royaume Kuba à bénéficier du privilège polyandrique. Le privilège polyandrique est le droit d’avoir plusieurs maris. Ce privilège donnait à cette femme principalement deux droits. Premièrement, le droit de choisir dans la communauté Kuba un homme qui était à son goût et d’en faire son mari. Si cet homme était déjà marié, il devait divorcer pour se faire épouser par la sœur du roi. Après le mariage, le nouveau mari de la princesse Kuba venait habiter dans la maison de sa femme.

Un mari sous surveillance.

Lorsque, pour une raison quelconque, il devait sortir de la maison, il était accompagné par des personnes au service de sa femme qui devaient s’assurer qu’il ne rencontre pas ou ne fasse pas connaissance avec d’autres femmes en cours de route.

La femme aux multiples amants.

Deuxièmement, le privilège polyandrique faisait en sorte que l’infraction d’adultère (non-respect de l’engagement d’exclusivité des rapports sexuels entre époux) n’existait pas pour la sœur du roi lorsqu’elle était mariée. En effet, c’était la seule femme du Royaume Kuba qui pouvait avoir des amants au vu et au su de tout le monde.

L'enfant sans père

La conséquence de cette pratique est que l’enfant de cette femme, qui bénéficie de ce privilège, n’est pas considéré ni par le mari, ni par la famille du mari, ni par la communauté tout entière comme l’enfant du mari. Ce dernier sera considéré juste comme le père nourricier. Vu les multiples amants que la maman a connus, l’enfant apparaît donc comme un enfant qui n’a pas de père, l’enfant de tout le monde, l’enfant de la communauté.
On voit comment, de manière intelligente, le privilège polyandrique a fait que le futur roi Kuba se retrouve sans famille paternelle.
Il reste à couper maintenant le lien avec la famille maternelle.

II. L’inceste rituel

L'élection du roi

A la mort du roi régnant, les dignitaires Kuba se réunissent pour élire, parmi les neveux, candidats à la succession de leur oncle maternel, celui qui, à leurs yeux, a les qualités nécessaires pour faire un bon roi : courage, sagesse, intelligence, intégrité morale… Il faut aussi noter que chez les Kuba, comme chez tous les peuples bantous, le chef ne devait pas avoir de défauts physiques.

Le roi incestueux est banni de la famille maternelle.

Après l’élection du nouveau Nyim et à la veille du jour de l’intronisation, le nouveau roi va être surpris en train de commettre l’inceste avec sa sœur. S’il n’a pas de sœur, avec sa cousine, fille de son oncle maternel. Les membres de la famille maternelle, l’oncle en tête, qui prennent le nouveau roi en flagrance d’inceste, vont le maudire et le chasser de leur famille parce qu’il a violé un tabou ancestral : l’interdiction des relations sexuelles entre proches parents.

L'intronisation du roi libéré

Chassé de sa famille maternelle et n’ayant jamais eu de famille paternelle, le candidat élu est investi Nyim c'est-à-dire roi des Bakuba. Durant tout son règne, il ne sera plus guidé que par l’intérêt général de toute la communauté Kuba sans aucune interférence des intérêts familiaux, claniques ou tribaux.
Ce système a permis au Royaume Kuba d’être, pendant des siècles, l’une des entités politiques le plus puissantes et le plus prospères de l’Afrique précoloniale.

Patrice Lumumba avait compris la problématique

Cette impérieuse nécessité de se libérer de l’emprise familiale, clanique ou tribale a conduit Patrice Emery Lumumba à déclarer ceci :

« Je n’ai pas de père, je n’ai pas de mère. Je n’ai pas de tribu, je n’ai pas de religion. Je suis une idée. Le Congo m’a façonné et je chercherai à mon  tour à le façonner. »   
 
Cet état d’esprit du premier Premier Ministre du Congo indépendant n’est-il pas l’une des clés de sa grandeur ?

« Omenyama »
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